Nous avons collaboré avec le CAPP Lamblardie pour constituer un corpus spécifique de monologues d’enfants présentant un profil atypique et susceptibles de produire des monologues durant les séances avec les thérapeutes.
Le CAPP (Centre d’Adaptation Psycho-Pédagogique) est une structure d'aide et de soutien visant à favoriser la prévention, l'adaptation et l'intégration scolaire, personnelle et sociale des enfants et adolescents en difficulté. L'équipe, dirigée par le psychiatre Alberto Velasco, est composée de médecins-psychiatres, psychologues, rééducateurs, orthophonistes, psychomotriciens et travailleurs sociaux.

Nous avons travaillé avec l’équipe pendant près de six mois afin de mettre en place le protocole de recueil et de transmission des données, de choisir les enfants et d’obtenir les autorisations parentales ainsi que celle du médecin responsable à la ville de Paris.

Deux enfants ont été sélectionnés. Nous avons choisi de ne pas faire d’enregistrement vidéo pour ne pas perturber le cours des séances et de fournir simplement un enregistreur aux thérapeutes. Elles avaient la possibilité de l’activer ou pas et d’arrêter l’enregistrement à tout moment.
Les enregistrements pour l’un d’eux ont été arrêtés au bout de 3 séances.
Les enregistrements des séances d’une autre enfant se sont poursuivis pendant plus d’un an, depuis janvier 2015. Ce corpus compte à ce jour 25 séances soit 13 heures d’enregistrements.

Les enregistrements ont été écoutés et analysés minutieusement. Ils ont été transcrits en entier ou en partie, selon les séances. Plusieurs réunions de travail avec l’équipe ont été organisées.

  • Leila

Leila est une jeune fille âgée de 10 ans et 7 mois, au début des enregistrements. Elle fréquente le CAPP depuis XXX ans. Elle est actuellement suivie par une psychologue, une orthophoniste et une psychomotricienne de l’équipe. Elle rencontre également de façon régulière le psychiatre avec ses parents. Ce sont les séances de psychomotricité qui sont enregistrées.

A ce jour, il y a très peu de moments de monologues « purs » dans le corpus recueilli mais son analyse détaillée nous donne des indications précieuses sur l’enfant et son fonctionnement et sur des types de comportements qui pourraient être associés au surgissement du monologue dont nous ont parlé les thérapeutes. Parmi les éléments significatifs, nous pouvons citer : des difficultés au niveau de la pragmatique du langage, l’adéquation des discours au contexte, le manque d’ajustement à l’autre, une grande place de l’imaginaire (y compris l’identité fictive), une certaine impulsivité, …


Dans notre analyse de ce corpus récolté lors de séance de thérapie avec Leila, une enfant de 10 ans et demi fréquentant un CAPP, nous relevons d’une part, des monologues similaires à ceux observés chez d’autres enfants de nos corpus : des monologues dans le jeu, dans des jeux de rôles et des mises en scène de personnages ; et d’autre part des monologues tout à fait spécifiques qui traduisent une frontière floue entre parole intérieure et parole extériorisée.

MONOLOGUES DANS LE JEU

Certains jeux semblent plus propices à l’émergence de monologues. Ainsi dans les jeux de cache-cache, celui qui cherche peut monologuer dans sa recherche de l’autre. Dans les jeux de cartes, le joueur peut être amené à verbaliser à voix haute sa stratégie ou monologuer en support de sa réflexion.

JEU DE RÔLES ET MISE EN SCÈNE DE PERSONNAGES

Nous avons pu observer dans tous nos corpus analysés pour le projet « Monologues d’enfants » que les jeux symboliques et la mise en scène de personnages occupent une place importante dans les jeux des enfants.

Chez Leila, il y a une grande place pour l’imaginaire dans les propos en séance. Elle réclame souvent de faire des jeux de rôles. Mais, lors de jeux de rôles observés lors de plusieurs séances, Leila ne se cantonne pas seulement dans son rôle ni dans le rôle de metteur en scène mais elle prend aussi la voix qui est censée être celle de la thérapeute.

FRONTIÈRE ENTRE PAROLE INTÉRIEURE ET PAROLE EXTÉRIORISÉE

Leila semble présenter une certaine désorganisation, déstructuration de sa pensée intérieure et surtout elle éprouve des difficultés à distinguer voix intérieure et voix extérieure. On a l’impression qu’il y a une perméabilité entre ses productions, celles de ses interlocuteurs et ses propres pensées, ce qu’elle verbalise d’ailleurs de temps en temps.
Dès le premier enregistrement, ce problème de frontière est évoqué verbalement directement par elle lorsqu’elle explique qu’en l’enregistrant on fait intrusion et on a accès à sa pensée. Plus tard, elle évoquera une sorte de transfert qui s’effectue entre la production vocale et le regard, entre l’auditif et le visuel.
Quand on voit un enfant faire un monologue au quotidien dans nos vidéos longitudinales on se rend bien compte qu’il y parfois une indistinction entre parole adressé à soi et parole adressé à l’autre mais en analysant Leila, on s’aperçoit qu’il ne doit pas être évident de structurer la différence entre parole intérieure produite pour soi et parole produite pour l’autre.

Nous reprenons ici plusieurs extraits qui témoignent de cette frontière floue entre parole intérieure et parole extériorisée.