Cette page propose un panorama des liens entre monologue et dialogue dans le développement langagier de l’enfant. Chaque rubrique est illustrée par des extraits vidéos.
Une synthèse est directement accessible ici.

Dès sa naissance, l'enfant produit des sons, précurseurs du langage, notamment lorsqu'il est seul dans son lit, au moment du coucher

Dans l'extrait, Côme, 2 mois, est laissé quelques instants seul sur son tapis de jeu (la mère a quitté la pièce). Il produit de petits sons.

L’enfant monologue dès le plus jeune âge et malgré la présence d’autrui

Par moments, l’enfant choisit de poursuivre son monologue malgré les tentatives de communication du parent.

Cette tendance à monologuer malgré la présence d’un parent ou d’un autre enfant se poursuit avec l’âge.

Philippine (5 ans et un mois) « lit » un livre à voix haute pour elle-même, malgré la présence toute proche de son frère et sa mère et la télévision allumée.
Elle poursuit sa lecture alors que sa mère parle à Ulysse.

L’enfant alterne les monologues et les dialogues, avec passage «fluide» entre les deux.

Non seulement, l’enfant monologue même en présence d’autrui mais en plus il peut passer du monologue au dialogue de façon « fluide » entre les deux. Ce sont souvent des éléments extra–verbaux (regard, sourire, posture, etc.) qui permettent de déterminer si le langage est adressé ou non dirigé.

Anaé, 9 mois, monologue en manipulant le chapeau puis elle regarde sa mère et semble se plaindre. Sa mère poursuit le dialogue.


Julie, un an, monologue dans son jeu symbolique. On identifie clairement le passage au dialogue lorsque Julie se tourne vers sa mère et lui tend sa cuillère. Ensuite, elle repart dans un monologue et change de nouveau sa posture. Elle ne prête même pas attention à sa mère lorsque celle-ci éternue et elle poursuit son monologue.

Passage du monologue au dialogue avec changement prosodique

Le passage du monologue au dialogue peut être marqué de façon nette et perceptible par des changements prosodiques : variations de hauteur, d’intensité et/ ou d’intonation. Le monologue est parfois en voix chuchotée, ce qui permet de le distinguer clairement du dialogue, volontairement plus intelligible.

Julie, 2 ans et un mois, regarde un livre en tissu avec des petits accessoires amovibles et semble faire des commentaires pour elle-même.
Elle s’adresse au petit lapin en peluche du livre (en lui disant « t’es tout nu »).
Lorsqu’elle pose une question à sa mère, celle-ci n’y répond pas de suite et elle hausse le ton.

Jeux parallèles

Nous l’avons vu, l’enfant peut monologuer malgré la présence d’un adulte mais aussi d’autres enfants. On peut même observer plusieurs monologues en même temps lorsque chaque enfant, captivé par son jeu, parle pour lui-même.
Dans leurs jeux parallèles, les enfants vont monologuer et passer aisément du monologue au dialogue.

Julie (3 ans) et Ulysse (4 ans et 3 mois) jouent avec des personnages Duplo.
Dans cet extrait, il y a alternance de monologues et d’interactions entre les enfants.
Chacun fait parler ses personnages, soit de son côté soit en interactions avec les personnages de l’autre et chacun fait des commentaires sur la mise en place et le déroulement du jeu.
Il est parfois difficile de déterminer la frontière entre commentaires pour soi-même et commentaires destinés à l’autre dans le jeu. Les enfants passent aisément du dialogue entre eux et entre leurs personnages.

Exemples où l’enfant verbalise la distinction entre monologue et dialogue

Ces exemples chez l’enfant plus âgé nous montrent que l’enfant distingue clairement monologue et dialogue et a conscience d’avoir recours par moments au monologue comme structuration de la réflexion et extériorisation de la pensée.
L’extrait de Julie ci-dessous, un peu plus long, est un ensemble de questions posées par sa mère à Julie sur sa conscience du monologue et son utilité.

Philippine précise à sa maman qu’elle ne s’adressait pas à elle en monologuant «maman» dans son jeu.


En réponse à des questions sur le sujet, Julie, presque 9 ans, explique l’utilité de verbalisations à voix haute durant la réalisation des devoir. Elle explique que cela l’aide à structurer sa réflexion par rapport aux moments en classe où sa réflexion doit rester silencieuse.


Christelle Dodane a travaillé plus spécifiquement sur les différences prosodiques entre monologue et dialogue. Elle a réalisé les analyses présentées ci-dessous sur Madeleine, une enfant du corpus CoLaJE . Cette page présente le résultat de ses analyses.

Entre 9 et 12 mois, les enfants vont produire du jasis lorsqu’ils sont seuls

Entre l’âge de 9 et 12 mois, les productions des bébés se différencient nettement en fonction du contexte. Ainsi, lorsqu’ils se trouvent en situation solitaire, les bébés vont produire du jasis, par exemple au moment du coucher, lorsqu’ils sont seuls dans leur lit. Dans ce type de production, l’enfant semble tester toutes les possibilités que lui offre son appareil vocal. Ainsi, il utilise toute la tessiture de sa voix et passe brutalement de sons très graves à des énoncés très aigus. Il produit des contours mélodiques très variés et la qualité de sa voix peut changer, pouvant passer brutalement d’un timbre normal à un timbre différent, avec la présence de craquements, de souffle ou même de bitonalité (on a l’impression d’entendre deux voix en même temps). Les sons produits peuvent être des voyelles, des syllabes, mais elles n’ont jamais les mêmes caractéristiques, ni la même durée. Le jasis correspond donc à un comportement de type exploratoire et se caractérise par une extrême diversité et une instabilité maximale.


Exemple de jasis

Dès qu’ils se trouvent en interaction, leur voix change complètement

En revanche, à partir du moment où le bébé se trouve en interaction ou qu’il souhaite engager une interaction avec un adulte, les caractéristiques de ses productions vocales changent radicalement. En comparaison du jasis qui se manifestait par une très grande variabilité, notamment au niveau mélodique, la voix de l’enfant semble se ranger dans des hauteurs intermédiaires lorsqu’il s’adresse à un interlocuteur. Les contours mélodiques deviennent continus et leur configuration beaucoup plus simple que dans le jasis (avec peu ou pas d’inflexions, par exemple des contours montants, descendants ou montant-descendants). Dès 9 mois, le bébé sait reproduire la configuration mélodique spécifique des énoncés interrogatifs, énonciatifs, exclamatifs, ainsi que celle des appels et des ordres. Ces productions sont correctement interprétées par les parents et même par des auditeurs extérieurs au cercle familial qui leur attribuent une fonction ou une modalité précise (question, énonciation). Et c’est uniquement l’intonation qui permet cette différenciation, puisqu’il n’y a pas encore de mots reconnaissables dans les productions du bébé. Par ailleurs, elles sont constituées de syllabes ressemblant par leur durée et leur constitution (consonne-voyelle) aux syllabes produites par les adultes. Avec le temps, entre 13 et 16 mois, les bébés vont progressivement allonger la dernière syllabe des groupes de mot et ce faisant, reproduire l’accent principal du français. Cet accent se caractérise par l’allongement de la dernière syllabe d’un groupe rythmique dont la durée est généralement deux fois plus longue que les syllabes non finales. On parle de protolangage pour désigner ces productions car elles contiennent déjà les spécificités rythmiques, intonatives et syllabiques de la langue maternelle des bébés. Lorsqu’ils entendent ces productions, les adultes se sentent interpellés et répondent aux productions de leur enfant.


Dans l’exemple suivant, la petite Madeleine, âgée de 11 mois, se trouve au bas des escaliers en compagnie de l’observatrice, qui la filme, pendant que sa mère est montée à l’étage pour aller chercher un jouet. Tout son corps est tendu en direction de l’endroit où se trouve sa mère. Après avoir entendu sa mère lui dire plusieurs fois au revoir et lui dire qu’elle revenait, Madeleine produit une autre vocalisation de deux syllabes « baba » avec une intonation montante et une intensité très forte, à laquelle sa mère répond par « oui ? ». Madeleine répond « beba » avec une intonation descendante et une intensité forte, puis regarde l’observatrice qui lui demande « Où elle est maman ? ». Dans cette séquence, la première production de Madeleine est clairement interprétée comme un appel par sa mère qui s’empresse de lui répondre par un « oui ». Madeleine fait usage d’une forme prosodique précise, stable et parfaitement contrôlée, qui transmet l’intention de son énoncé : elle veut appeler sa mère et son intention est décodée en tant que telle par les adultes présents.

Productions autocentrés (monologuées), dirigées vers soi-même

En présence des adultes, il est également possible de repérer un comportement intermédiaire produits lorsque les enfants sont en situation de jeu et s’accompagnant le plus souvent d’une activité exploratoire motrice ou visuelle. L’enfant manipule des objets pour lui-même et ne semble pas solliciter l’attention de l’adulte, qui d’ailleurs ne lui répond pas. Ces productions semblent autocentrées et sont produites avec une majorité de contours d'intonation plats, ainsi que des contours descendants, associés à une qualité de la voix altérée (voix faible voire chuchotée, craquements vocaux…) et à une séquence phonétique simple (voyelle isolée ou syllabe consonne-voyelle).


Dans cet extrait, Madeleine, âgée de 11 mois, est en train de manipuler un livre. Elle semble complètement absorbée par son activité et ne pas prêter grande attention aux deux adultes qui l’entourent, sa mère et l’observatrice qui est en train de le filmer. Ses productions sont courtes et constituées d’une ou deux syllabes comme [ga], [g2] ou [gE], [2ga] ou [aja]. La voix est peu intense et présente du souffle. Les contours d’intonation sont majoritairement plats ou descendants et sa mère ne répond pas à ces productions. Elle est plutôt en train de commenter les actions de sa fille.

Du monologue vers le dialogue

Dès que l'enfant entre en interaction avec un adulte, lors d'une activité conjointe par exemple, ses productions changent radicalement et se caractérisent par une voix beaucoup plus claire et forte, ainsi qu'une plus grande diversité de contours, associés à une modalité spécifique (appeler, raconter, etc.), comme dans l’exemple de l’appel.


Dans l’exemple suivant, Madeleine, âgée de 11 mois, est toujours en train de manipuler son livre. Elle produit l’énoncé [abwa] avec les mêmes caractéristiques que ce que nous avons décrit précédemment : l’énoncé est court et réalisé avec un contour d’intonation descendant, sa voix est soufflée et son regard est focalisé sur le livre qu’elle est en train de manipuler. Et puis, soudain, elle se redresse, regarde en direction du lieu où se trouve sa mère tout en tendant le livre et produit l’énoncé [ga] avec une voix forte et claire, un contour d’intonation montant, comme si elle interpellait sa mère.


Ces deux documentaires illustrent le rôle du bain de langage auquel l’enfant est confronté depuis la naissance sur l’acquisition et le développement de son langage. Les interactions et dialogues initiés, encouragés et entretenus par l’entourage de l’enfant lui fournissent les modèles à intérioriser.
La reprise et la répétition de ces formes vont permettre à l’enfant de les perfectionner dans ses monologues.



Prélude à la parole


"Non, non et non"


X