La recherche sur les diners familiaux
De nombreux chercheurs ont souligné l’importance d’étudier le comportement des enfants dans leurs pratiques familiales quotidiennes. Dès les années 60, les pionniers de l’analyse conversationnelle ont développé des études consacrées aux conversations durant les dîners (Sacks, 1992 ; Schegloff, 2007) pour identifier les rituels alimentaires et les interaction frameworks (Keppler, 1994; Ochs, Pontecorvo & Fasulo, 1996; Traverso, 1996; Blum-Kulka 1997; Aronsson & Gottzén, 2011). Le langage en interaction est un outil de socialisation qui permet aux parents de transmettre leurs valeurs et leurs croyances (Aronsson, 2012, Duranti, Ochs & Schieffelin, 2012; Ochs & Schieffelin, 1984; Ochs, Pontecorvo & Fasulo, 1996; Ochs & Izquierdo, 2009).
Durant les dîners, les parents transmettent des normes et valeurs associées aux pratiques alimentaires (Ochs & Shohet, 2006) qui ont déjà fait l’objet d’études approfondies aux Etats-Unis, en Italie et en Suède dans le cadre d’un projet international dirigé par Elinor Ochs (CELF - UCLA). Ce projet a montré à quel point les différences de culture entre les familles étaient sources de différences dans les comportements alimentaires et langagiers durant les repas. Des études comparant les familles françaises et américaines (Kremer-Sadlik et al. 2015 ; Morgenstern et al. 2015) montrent que les familles françaises passent beaucoup plus de temps à préparer le dîner, à le manger, à interagir pendant le repas, tout en formulant plus d’évaluations positives sur les aliments.
Comme l’explique Mondada (2009), on ne peut réduire la consommation de nourriture et l’expression des goûts et préférences des participants durant les dîners à de simples processus physiologiques. Ce sont des pratiques sociales qui doivent être analysées dans le contexte des actions accomplies durant les repas et leur organisation complexe. Mais aucune étude ethnographique avec enregistrement vidéo des pratiques au quotidien n’avait jusqu’à présent été menée en milieu familial français sur une échelle suffisamment importante pour établir des comparaisons avec d’autres pays, en particulier les Etats-Unis.
Il est important d’étudier les interactions durant les diners familiaux en les considérant comme des lieux d’apprentissages (Pontecorvo, Fasulo et Sterponi, 2001) et d’analyser les pratiques en fonction de l’âge des enfants, de leur position dans la fratrie (Aronsson et Gottzen, 2011) et si l’on s’intéresse par exemple au problème de surpoids, de leur IMC. Le modèle français, caractérisé par sa commensalité et la stabilité et la durée de ses repas (Fischler et al. 2008) semble davantage protéger les enfants français de l’obésité que le modèle américain (individualisme des repas au niveau des pratiques sociales et de leur contenu, Koplan et al. 2005) ou encore le modèle suédois, le surpoids ayant augmenté de 20% au début des années 2000 en Suède (Petersen, Brulin & Bergström, 2003). Des études américaines ont montré que dans les familles qui dînent ensemble, il y a moins de surpoids (rapport de la CASA Columbia 8-24-2011).