Ces rubriques reprennent (de façon non exhaustive) des types de monologues que nous avons choisis d’illustrer par des extraits de nos corpus.
Ces types de monologues ne sont pas nécessairement observés chez tous les enfants, ni selon une chronologie ou une succession déterminées. Plusieurs types de monologues peuvent co–exister et ce, chez des enfants de tous les âges.

JEU SYMBOLIQUE

  • Dans leur apprentissage du langage socialisé, les enfants vont jouer et rejouer des scènes quotidiennes. En fonction du contexte et du développement langagier de l’enfant, ces jeux d’imitation seront accompagnés de bruits et onomatopées, de productions vocales et verbales de plus en plus élaborées.
  • Une autre forme de jeu symbolique est la mise en scène de personnages par l’enfant. Ces mises en scènes peuvent s’inspirer de la vie quotidienne ou être tout à fait imaginaires, impliquant des personnages de fiction (de dessin animé ou autre). Elles peuvent aussi intégrer à la fois des éléments réels et imaginaires.
    L’enfant fera parler les personnages dans son jeu, ce sera l’occasion pour lui de jouer plusieurs rôles, d’entraîner ses compétences pragmatiques et sociales, voire d’extérioriser certaines émotions.

INTERIORISATION

Avant le recours à des mots pour expliciter des situations, des usages particuliers d’objets ou des concepts, l’enfant peut utiliser des gestes pour les symboliser et les intérioriser. Les exemples suivants sont assez subtils, les enfants font des gestes, parfois furtifs, pour se signifier à eux même l’usage d’un objet, en cours d’intériorisation.


  • Avant même de faire des monologues parlés, l’enfant peut intérioriser par des gestes des situations ou des usages particuliers d’objets comme dans les exemples suivants.


Théophile, un an et 4 mois était juste avant couché sur la table à langer et manipulait une boîte de coton tige que son père reprend ici. Théophile se met le doigt dans l'oreille, ce geste n’est pas orienté vers son père mais réalisé, sans vocalise, pour lui-même comme pour se signifier l’usage connu de l’objet.


Théophile, un an et 5 mois, est assis sur sa chaise haute, attendant son repas. Il touche le biberon puis sa bouche comme pour s'en signifier l'usage.


Tandis que la mère est en train de moucher Ulysse à l’écart, Julie, un an et demi, fait un geste des mains vers son nez comme si elle imitait le mouchage ou vérifiait qu’elle devait être mouchée aussi. Elle fait ensuite une geste des mains. On voit qu’elle souffle encore quand la mère dit à Ulysse de souffler, elle est donc à l’écoute de ce que la mère dit mais semble suivre la séquence pour elle-même, comme une forme d’intériorisation d’un geste en cours d’acquisition. A ce moment-là, la mère ne la regarde pas.


Ulysse et Julie jouent chacun de leur côté. Ulysse, 2 ans et 4 mois, fait rouler son camion sur la table et regarde le magazine. Il commente ce qu’il y voit : « nez qui coule », il se touche le nez et fait une mimique comme une intériorisation symbolique de ce qu’il commente.


  • L’intériorisation des conduites socio-culturelles est également marquée par des gestes et des actions. Dans les exemples suivants, Théophile et Julie intériorisent des interdits provenant des adultes.

Julie, un an et 2 mois, est seule dans la pièce avec la personne qui la filme (sa mère est dans la cuisine avec son frère). Julie touche au bouton pour allumer la télévision et la personne qui filme lui signifie qu’elle ne peut pas, à plusieurs reprises, en verbalisant «non». On peut tout à fait supposer que Julie était consciente de cet interdit (quotidien) mais qu’elle « vérifiait » qu’il était aussi cautionné par l’observatrice, elle la testait. Ensuite, quelques minutes plus tard, Julie monologue puis, assise par terre, regarde vers la télé et fait un signe non de la tête à deux reprises comme si elle se signifiait à elle-même l’interdit, sans verbalisation mais par le signe conventionnel de la tête. Même sans mot, il s’agit de monologue. Elle ne regarde pas l’observatrice lors de cette phase. Elle poursuit ensuite son jeu avec une petite voiture et monologue jusqu’à l’arrivée de sa mère.


  • L’intériorisation d’un interdit peut être également mise en scène et verbalisée.

Théophile, un an et 3 mois, cherche à atteindre la contrebasse, il vocalise et se retourne comme pour vérifier que quelqu'un le regarde. Ensuite, il semble faire parler ses peluches et les mettre en scène dans cet interdit.

ENTRAINEMENT / APPROPRIATION / PERFECTIONNEMENT DU LANGAGE PAR LA REPETITION MONOLOGIQUE

  • On observe dès le plus jeune âge des vocalisations non adressées, produites pour soi pour le plaisir des sons émis.

Dans cet exemple, Julie, un an et 2 mois, module les sons par plaisir, on dirait du chant.


  • Entre les sons isolés et les mots de sa langue, l’enfant va progressivement élaborer son langage et passer par plusieurs étapes. Dans le babillage de l’enfant, on retrouvera des onomatopées conventionnelles pour nommer et commenter le monde autour de lui.

Ce montage d’extraits de Théophile à un an et 4 mois et à 2 ans nous montre le recours à l’onomatopée conventionnelle «miam miam» pour se commenter à lui-même l’imminence du repas.


  • Plus grand, l’enfant peut répéter un mot en monologue comme pour s’exercer à le prononcer.

Julie, 1 an et 7 mois, semble répéter le mot pour elle-même avant de le dire à son papa.


  • L’enfant peut aussi répéter une phrase «type» utilisée dans la famille, pour se l’approprier, à travers ses jeux notamment.

  • Pour le plaisir de produire et d’entendre des sons, l’enfant peut aussi chanter pour lui-même. Il peut reprendre des chansons et les chanter pour lui-même ou en inventer : il modulera des sons et mélodies, sans public.
    Certains enfants peuvent tenir de longs monologues où la parole sera chantée ou répétée dans des litanies.

Philippine, 4 ans et 11 mois, chante en dessinant. Il s’agit d’un monologue chanté, ses propos sont difficiles à suivre pour l’observateur extérieur. Elle intègre dans son monologue des commentaires sur le dessin en cours. L’air de la chanson ressemble à l’air d’une chanson du film de la Reine des neiges que Philippine chante beaucoup à cette période-là.
Dans la seconde partie de l’extrait, elle chante une autre chanson de son film préféré. On peut se dire qu’elle chante ces chansons avant tout pour le plaisir mais aussi probablement parce qu’elle n’en maîtrise pas encore les paroles et qu’elle s’entraîne. Le fait de chanter lorsqu’elle est seule dans la chambre lui évite les interventions de sa sœur aînée qui, elle, connaît parfaitement ces chansons. Dans cet extrait, les paroles de la chanson sont normalement : «j'ai passé mon temps à chercher ma bonne étoile».

EXPRESSION D’UNE EMOTION

  • Joie : Cris de satisfaction / excitation
  • Bouderie


Les 3 enfants jouent en parallèle. Ulysse, 9 ans et demi, fait une course de voitures et en imite les bruits de moteurs. Julie, 8 ans et 2 mois, chantonne en jouant. Après plusieurs essais infructueux, Philippine, 5 ans, réussit à assembler des pièces de sa construction en duplos. Elle crie de joie et fait un geste de la main témoignant de sa satisfaction, elle interpelle ensuite Julie pour lui montrer sa réussite.


Dans cet extrait, Philippine, 4 ans et 9 mois, boude car elle est ne voulait pas rester seule dans la chambre. Elle commente pour elle-même la construction de la tour duplo et son appréciation de sa hauteur. Elle marmonne en cherchant des pièces dans le tiroir et ses propos ne sont pas clairement intelligibles.

  • Pleurs monologiques
  • Colère


Philippine, 5 ans et 2 mois, seule dans la pièce, pleure et dit «personne ne me comprend». Ne trouvant pas un jouet, elle a appelé quelqu’un pour l’aider mais personne n’est venu.


Philippine, 5 ans 9 mois, est seule dans la salle de jeux, elle boude. Elle vient de faire une colère et a jeté plusieurs jouets à travers la pièce. Après le départ de sa mère, elle jette deux barbies et les regarde un moment en silence comme si elle évaluait l’impact de son geste (notamment voir si cela a cassé les constructions legos d’Ulysse ?). Nous pouvons émettre l’hypothèse que la colère est davantage une émotion dirigée, elle se calme lorsqu’il n’y a pas d’interlocuteur à son expression, en tout cas en surface. Il est intéressant de constater que la mimique reste figée sur le visage de Philippine. Le monologue peut donc au-delà du verbal se refléter également dans les mimiques , les postures, les gestes,…

COMMENTAIRES POUR SOI MEME

  • Les monologues prennent la forme de commentaires pour soi-même qui peuvent accompagner des observations ou appréciations d’une situation, une action en cours, une recherche, un choix, …


Anaé, 11 mois, sort des éléments du train d’une boîte et accompagne cette recherche de vocalises diverses.


Anaé, 11 mois, commente la réalisation de sa tour de cubes.




  • En grandissant, les commentaires pour soi-même, qui accompagnent une action en cours, deviennent plus élaborés. L’enfant énonce à voix haute les étapes de réalisation d’une tâche. Son monologue reflète la planification et la réalisation d’un projet.

  • L’enfant peut monologuer afin d’élaborer une stratégie pour surmonter une difficulté.


Philippine, 5 ans 2 mois, verbalise une difficulté qu’elle rencontre dans son jeu. Elle s’interroge face à cette difficulté et interpelle même les objets poliment.


Ulysse, 9 ans 7 mois, seul dans la pièce, monologue pour lui-même une difficulté dans sa construction, à voix haute et en chuchotant, puis il fait quelques bruitages qui débouchent sur un genre de chanson. Il poursuit son monologue en faisant parler un personnage qui évalue la construction.


  • L’enfant peut recourir au monologue pendant qu’il est en train de faire quelque chose ou lorsqu’il a fini pour en évaluer le résultat. Il verbalise si le résultat correspond à son projet de départ ou pas et peut aller jusqu’à s’auto-congratuler s’il est content du résultat.


Philippine, 4 ans et 11 mois, énonce les étapes de la réalisation de son dessin. Elle se félicite elle-même du résultat et s’encourage. Dans ses commentaires, elle reprend des expressions «types» utilisées habituellement par la mère («c’est magnifique!»).


Elle prend même la voix de son papa qui valoriserait sa réalisation à une tierce personne et lui répond dans un dialogue monologué.


  • L’enfant plus âgé peut recourir au monologue pour verbaliser à haute voix sa réflexion.

Julie, presque 9 ans, est en train de faire ses devoirs. Elle monologue : elle s’interroge et réfléchit à voix haute, elle justifie ses réponses, elle utilise également la décomposition à voix haute ou chuchotée en appui de l’écriture, elle fait des observations pour elle-même. Dans un autre extrait, elle explique d’ailleurs à quoi lui sert le monologue durant ses devoirs (en comparaison de son travail en classe).

De tels monologues, extériorisations à voix haute d’une réflexion, subsistent chez l’enfant plus âgé et même chez l’adulte de façon occasionnelle dans des contextes particuliers. Il constitue une petite fenêtre entr’ouverte sur la pensée.

LECTURE MONOLOGIQUE

Chez le jeune enfant qui ne sait pas encore lire, l’activité de lecture est habituellement un moment partagé avec un parent : celui-ci lit ou raconte l’histoire à l’enfant. Dans les exemples suivants, les enfants de différents âges, reprennent ces activités pour eux-mêmes. Ils imitent en quelque sorte la lecture, ils «lisent» pour eux-mêmes, par plaisir, à voix haute.


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